CHAPITRE 4

- Salut Jodie, tu devines ce qui m'arrives?

- Oui, tu es entrée en clinique, n'est-ce pas?

- Bravo, tu as trouvé!

- Ne fais pas cette tête, après-demain tu es sortie.

- Je sais, mais cette opération m'effraie.

- Oh, Sophie, l'appendicite, ce n'est rien du tout!

- Tu as raison, je n'ai aucune raison d'avoir peur, mais ce qui m'inquiète c'est que demain, après l'opération, je devrai changer de chambre et y rester une demi-journée!

- Et alors, quel est le problème?

- Viens me voir demain, après quatorze heures, tu comprendras, je te laisse, salut!

Le visage de Sophie quitte l'écran du vidéophone.

***

Jodie pénètre dans l'hôpital, demande le numéro de la chambre de Sophie Dubourg. Enfin, elle frappe à la porte.

- Entrez!

La jeune fille entre et salue son amie en souriant.

- Jodie! Je suis heureuse de te voir!

- Moi aussi, Sophie. Comment s'est déroulée l'opération?

- Super bien, à tel point que je suis capable de marcher normalement, mais les infirmières me forcent à garder le lit jusqu'à ce soir.

La jeune fille rousse aux grand yeux marrons expressifs pousse un soupir.

- Bah! Tu peux te reposer, comme ça! Au fait, elle est mignonne ta chambre, qu'avais-tu à lui reprocher hier?

Sophie fait signe à son amie de rapprocher son visage du sien. Elle chuchote :

- Mon compagnon de chambre.

Jodie lance un regard discret vers le garçon qui leur tourne le dos, il a l'air de dormir.

- Il n'a rien de spécial, ton compagnon de chambre, dit-elle.

- Parle moins fort, il pourrait t'entendre, insiste Sophie.

A ce moment, les draps du lit que les amies regardent bougent. Le dormeur se tourne de leur côté, il s'asseoit, ouvre les yeux. Ils sont rouges! Sophie serre la main de sa copine d'un air effrayé, celle-ci s'apprête à dire quelquechose quand l'inconnu, qui semble avoir lui aussi une quinzaine d'années, se met à leur parler.

- Bonjour, je m'appelle Gordemail Maccaille.

- Moi, c'est Jodie, elle c'est Sophie.

- Enchanté. Mon nom et mon apparence semblent vous embarrasser, je suis héliumien comme vous pouvez le constater. Je suis né sur Terre, en France, mon père est un scientifique héliumien. Appelez-moi Gordy, c'est plus facile.

- Je suis moi-aussi enchantée, Gordy. Tu es le premier héliumien que je rencontre, excepté un serveur de restaurant à Paris. Quel âge as-tu? Moi, je viens d'avoir quinze ans.

- J'ai dix ans.

- Incroyable, je t'aurais donné beaucoup plus!

- Tous les terriens sont étonnés, pourtant, il en est ainsi : sur Hélium, la croissance des êtres est beaucoup plus rapide que sur Terre.

Sophie, blanche comme un linge, tremble de tous ses membres devant cette créature aux cristallins rouges vifs. Le jeune garçon, voyant qu'il l'impressionne, essaie de la rassurer en lui parlant :

- Je suppose que tu as environ le même âge que ton amie. C'est la première fois que tu rencontres un héliumien?

- Oui, heu... non... enfin, en chair et en os, oui, répond Sophie maladroite.

- Ne sois pas si effrayée, les héliumiens sont très gentils, tu sais!

- Ah, je ... je n'en doute pas!

Peu à peu, Gordy fait perdre à Sophie sa crainte. Tous les trois deviennent copains et discutent jusqu'à ce que Jodie réalise qu'elle est restée plus longtemps qu'elle ne le devait. La jeune fille serre la main de son nouvel ami, embrasse Sophie et sort de la chambre, puis de l'hôpital. Avant de se diriger vers la station de métro, elle passe par la bibliothèque municipale : elle meurt d'envie d'en savoir plus sur Hélium et ses occupants.

***

- Laetitia, regarde le livre que j'ai trouvé à la bibliothèque!

- HELIUM ET SES SECRETS, articule la soeurette.

- Sois sympa, prépare-moi une pile de hamburgers comme tu les fais si bien, apporte-les moi dans ma chambre, j'ai prévenu maman que je dînais dans mon lit ce soir, je suis tellement impatiente de lire ce livre!

Jodie entre dans sa chambre en fermant la porte derrière elle.

On frappe à la porte. C'est la brave petite soeur qui n'a su faire autrement que d'obéir aux ordres donnés par sa "supérieure". Elle apporte sur un plateau les sandwitches.

- Alors, c'est bien? demande-t-elle.

- Passionnant! Je suis au premier chapitre, ils expliquent comment les humains en sont venus à découvrir Hélium. Rends-toi compte, ils étaient français!

- Je savais cela, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il y a de nombreux héliumiens qui sont venus habiter en France.

- Je le savais aussi, mais plus j'y pense, plus je trouve cela fantastique!

La soeur fait un signe de tête qui montre qu'elle est d'accord et sort en lui souhaitant bonne lecture.

***

Jodie prétend à l'infirmière à la réception qu'elle a quelqu'un de proche à voir au numéro 12. Tant bien que mal, elle essaie de prononcer le nom entier de Gordy. Elle veut le voir immédiatement. Jodie frappe à la porte de la chambre où elle est venue la veille. Une voix d'homme répond : "Entrez!".

La jeune fille obéit, elle est surprise de voir un vieil homme occuper le lit dans lequel était Sophie, celui de Gordy est vide. Le vieillard demande :

- Bonjour, vous êtes infirmière?

- Non, je... ,elle regarde le lit inoccupé. Quand la personne qui occupait ce lit est-elle partie?

- Elle a dû partir hier, avant que je n'arrive, je ne l'ai pas vue.

Jodie réfléchit : si Gordy est sorti de la clinique, c'est fichu. Elle décide d'aller se renseigner  la réception, elle s'excuse auprès du vieillard et sort de la chambre. Elle rencontre alors un infirmier dans le couloir, elle le questionne :

- Excusez-moi, il y avait dans cette chambre un jeune garçon héliumien, j'aimerais savoir s'il a changé de chambre ou s'il a quitté l'hôpital.

- Gordemail a changé de chambre après son opération, mademoiselle.

- Ou est-il, pourrais-je le voir?

- Il est isolé dans une pièce spécialement aménagée pour lui, mais toutes les visites lui sont interdites.

- S'il vous plait, permettez-moi d'y aller, c'est important!

- Je vous répète que personne n'a le droit de...

La jeune fille ferme les yeux un instant, elle le fixe ensuite. Celui-ci bredouille :

- Bon, je vous accorde la permission, c'est la chambre 116, suivez-moi.

Ils se dirigent tous deux vers le rez-de-chaussée, l'infirmier laisse la jeune fille devant la porte de la chambre. Elle attend un instant avant de frapper. Un faible gémisement lui fait comprendre qu'elle doit entrer. La surprise de l'adolescente est grande : on a camouflé les fenêtres de façon à ce que la lumière du jour ne pénètre pas dans la pièce. Il n'y a plus aucun meuble et le jeune garçon est couché sur un tapis rouge, emmitouflé dans un drap. De faibles flammes rouges s'élèvent des torches comme Jodie en a déjà vues au restaurant héliumien. La jeune fille reste un long moment figée par l'émotion et par la peur. Son ami a tant maigri! Ses os ressortent comme s'il était devenu squelette. Il ne lui reste plus sur le crâne que quelques cheveux blancs. Ses yeux sont devenus jaune orangé, ils sont entourés par des sillons profonds de cernes bleues. Il la voit, il essaie de lui sourire. C'est lui qui  commence à parler le premier :

- Jodie, j'aurais préféré que tu ne me voies pas dans cet état.

Sa voix est rauque et faible, il pousse de gros soupirs entre chaque mot. 

 La jeune fille reste muette, elle n'a même pas la force de pleurer. Le pauvre être agonisant continue :

- Ne me plains surtout pas... j'ai une maladie grave... que les terriens ne connaissent pas... je ne peux pas guérir. Je m'en vais bientôt... qu'est-ce... qui... t'amène ici?

Il soupire longuement. Comme on voit que les quelques mots qu'il a murmurés lui ont coûté un effort pénible! Jodie essaie de lui répondre :

- Ne dis rien, écoute-moi simplement. Tu n'auras qu'à me conseiller à la fin de mon récit. Je te demanderai seulement de me dire ce que je dois faire en quelques mots. Voilà, j'ai découvert en lisant un livre sur ta planète que j'étais héliumienne.

Le garçon sursaute et s'apprête à réagir mais Jodie , se forçant à sourire, lui fait signe de rester calme et de l'écouter.

- Les hélimiens sont télépathes, ils possèdent une force qui est capable d'obliger les gens à commettre un acte, ils ont une mémoire prodigieuse. Je possède tous ces pouvoirs. Tout à l'heure, j'ai forcé l'infirmier à me guider vers ta chambre alors qu'il ne voulait pas m'y faire entrer. Je me souviens de tout, j'ai moi aussi une mémoire prodigieuse, c'est pour cela que je suis la meilleure du lycée. Quand à la télépathie... je suis parvenue à lire dans les pensées d'une femme, dans la rue. Je suppose que l'un de mes parents était héliumien, mais l'autre terrien, d'où mon apparence terrienne. Auparavant, j'avais constaté que parfois, je réalisais des actes surnaturels et que mes yeux avaient une coloration mauve. J'ai découvert hier qu'en me concentrant très fort, je parvenais à les faire devenir entièrement rouges quelques secondes pendant lesquelles je peux alors utiliser ma force. Pour pouvoir entrer ici, dans ta chambre, j'ai mis des lentilles bleues. Je veux que personne ne soupçonne ce que je suis. Je vis dans une famille qui n'est pas la mienne, mon devoir est de retrouver mes vrais parents. Cette idée m'obsède jour et nuit, depuis que je l'ai découvert. Je t'en prie, dis-moi ce que je dois faire!

Elle retire alors ses lentilles et ferme les yeux une seconde. Elle les ouvre, ils sont rouges!

Le jeune héliumien essaie de sourire, il se met à tousser faiblement et lui dit :

- Va... va rejoindre ta famille sur Hélium... peut-être tes proches y sont-ils...

- Et s'ils étaient morts? Et s'ils habitaient sur Terre?

- S'ils étaient vivants et sur Terre... ta force... te l'aurait déjà dit.

- Je... je dois me rendre sur Hélium!

- Oui... tu dois te laisser guider... par ton instinct. Lui seul te conduira... vers ta famille. Fais... ce que ta force... te dit de faire...

Il s'arrête de parler, il est essoufflé.

- Gordy, je te remercie de tout mon coeur. Tu resteras toujours mon ami, même dans l'autre monde. Je t'aime beaucoup, je ne t'oublierai jamais. Je dois t'avoir fait énormément de tort en te rendant visite. Je vais m'en aller. elle se lève et va vers laporte après avoir serré une dernière fois la main froide et bleue du petit extra-terrestre. Elle lui lance un regard d'adieu avant de refermer la porte sur elle et de fondre en larmes en se laissant glisser sur le carrelage dur et glacé du couloir de l'hôpital.

C'est Laetitia qui l'accueille lorsqu'elle rentre chez elle, défigurée par les larmes. La soeur cadette pousse un cri de surprise en voyant dans quel état est sa soeur.

- Jodie, qu'est-ce qui se passe?

- Laisse-moi!

- Je sais ce que tu as. C'est le secret que tu ne veux pas me réveler... Jodie, tu n'es pas dans ton état normal ces temps-ci. Je m'imquiète beaucoup pour toi! Confie-moi ton secret!

- Tu ne sauras rien! Laisse-moi tranquille. Quelqu'un est sur le point de mourir!

Alors, elle s'enfuit dans sa chambre en claquant la porte.